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10 juillet 2013
Natalie Gandais

Tranquillité publique, sécurité : Parlons-en !

Compte-rendu du débat du 4 juillet

Près de 40 personnes ont participé au débat sur la sécurité, témoignant de leur inquiétude face à des situations qui s’aggravent. Yazid Kherfi, Serge Supersac et Natalie Gandais ont esquissé des pistes et des solutions pour agir et améliorer la qualité du "vivre ensemble" à Villejuif.

Nous avions invité deux spécialistes renommés des problèmes de sécurité et tranquillité publique. Yazid Kherfi, ancien délinquant, est consultant en prévention urbaine. Il est l’auteur de Repris de justesse (2000) et Quand les banlieues brûlent. (2006). Serge Supersac, ancien policier, est consultant en sécurité et formateur en gestion de crise. Il est l’auteur de Pour en finir avec les dealers (2011) et de Délinquance, l’imposture du tout sécuritaire (2012).

Nous les avons interviewés en video de quelques minutes après le débat. Voici l’interview de Yazid Kherfi
et celle de Serge Supersac.

Introduction de Natalie Gandais

Les Ateliers de l’Avenir à Villejuif, qui organisent ce débat, sont une association à caractère municipal. Créé à l’initiative du groupe Europe-Écologie de Villejuif, nous regroupons des citoyens, le plus souvent investis dans le secteur associatif, ou dans des luttes de terrain, parfois adhérents de partis. Notre objectif est de d’élaborer un projet alternatif pour les prochaines élections municipales, car nous ne voulons plus de ce que l’actuelle majorité est en train de faire de notre ville. Notre projet s’articulera autour de trois valeurs : la démocratie, l’écologie et la solidarité. Chaque habitant ou habitante est bienvenu pour contribuer à ce projet.

Ce débat sur la sécurité est notre 5e débat public. Auparavant, nous avons abordé la question du « Vivre ensemble » dans un débat sur la laïcité. Nous avons organisé deux débats sur l’urbanisme, l’un sur le Centre-Ville, l’autre sur l’ensemble de la ville car nous sommes en lutte contre divers projets de la mairie. Celle-ci, sous prétexte du Grand Paris et des nouveaux métros prévu dans 8 à 12 ans (mais pas avant...), au moyen des Zones d’Aménagement Concerté, du Plan Local d’Urbanisme et du Contrat de Développement Territorial (le CDT de l’agglomération du Val de Bièvre), entend faire passer la ville de 55 000 à 70 000 habitants au rythme de 1000 de plus par an, poursuivant l’objectif de 40 % de logements sociaux (nous en sommes actuellement à 36%).

Le questionnement sur la sécurité est arrivé progressivement, au fil des débats. Par exemple, si l’association des Habitants et riverains de Louis Aragon (que nous soutenons) se bat contre la construction d’un immeuble de logements sociaux de 40 m de haut sur le terrain Mollicone, c’est 1°) parce que ce terrain avait été promis à un équipement public (jardin public, crèche, …) ; 2°) parce que ça mettrait la cour de l’école Robespierre à l’ombre, et tout leur quartier de pavillons se retrouverait dominé par l’immeuble (exactement comme, en face de cette Salle de l’Ancienne bibliothèque, un « donjon » d’une douzaine d’étages où sont logées les huiles du PC domine tout le quartier), et 3°) parce que selon leur expérience, logements sociaux = perte de leur tranquillité = insécurité. Et ils savent de quoi ils parlent, ils ont déjà eu affaire aux dealers dans les résidences voisines, leurs enfants ont été incités à la consommation de cannabis… Ils ne sont pas contre le logement social, mais contre l’accumulation de pauvreté et de chômage aux mêmes endroits.

Autre exemple : dans le débat sur le centre-ville, alors qu’on discutait d’une rue en double sens rendue impraticable à cause des voiture mal garées, les habitants nous ont dit « Mais c’est parce qu’on ne peut plus se garer dans nos parking souterrains ! » . Cette histoire de parkings souterrains dangereux, on l’entend à Delaune, au Vercors, aux Hautes-Bruyères... Là non plus, on ne peut plus circuler à double sens, il faut se faufiler entre les voitures mal garées.

Pour préparer ce débat, nous avons entendu des témoignages d’habitants : ce sont des fêtes de voisins interrompues par des groupes d’enfants qui chapardent tout et lançant des insultes, des kermesses d’école qui se terminent sous protection de la police, une école dont les enseignants usent de leur droit de retrait après deux agressions de la directrice par des parents, des rassemblements nocturnes qui inquiètent, des plaintes incessantes contre les motos qui utilisent le parc des Hautes bruyère comme terrain de cross, des gens qui se font agresser dès qu’ils veulent prendre une photo... Quant aux personnes que nous avons rencontrées qui interviennent du côté de la prévention ou de l’éducation, elles soulignent des situations de misère et de pauvreté criantes. En posant des questions ici et là, on a fini par apprendre que Villejuif serait une plaque tournante pour le trafic du cannabis, étant « idéalement » située entre Orly et Paris...

Dans cette situation, il est bien clair que si nous voulons non seulement gagner les prochaines élections municipales, mais remplir ensuite la mission que nous aurons confié les électrices et électeurs, nous devons prendre à bras le corps cette question de la sécurité et de la tranquillité publique, nous devons faire des propositions, trouver des solutions.

Nous avons commencé par demander conseil à Yazid Kherfi, qui est consultant en prévention urbaine. Yazid nous a d’abord dit ceci : le Maire est responsable de la sécurité publique. La loi de 2007 précise les « pouvoirs propres du maire ». En matière de police administrative, il est chargé de maintenir l’ordre public, défini par le code général des collectivités territoriales comme : le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique. C’est à lui de protéger les habitants. Puis Yazid nous a posé une question : « Mais que fait la mairie ? Pour vous conseiller, je dois d’abord savoir ce qui est fait. Demandez les documents du Conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance (le CLSPD), le diagnostic, la stratégie territoriale, ce sont des documents publics ».

Bien que ces documents soient publics, on nous les a refusés, sous prétexte que nous risquerions d’en faire une mauvaise interprétation... Nous avons quand même obtenu, grâce à l’intervention d’amis conseillers municipaux d’opposition, quelques documents, un bilan 2012 du CLSPD, une étude d’un cabinet conseil pour la mise en place d’un service de médiation, et les échanges de courrier entre la maire et le ministre de l’intérieur pour essayer d’obtenir un commissariat de plein exercice.

Dans ces documents, on prend connaissance d’incidents graves comme un combat au sabre au Vercors impliquant une trentaine de personnes, l’attaque de la piscine à la voiture bélier en flamme, ou comment il a été nécessaire de protéger les ouvriers qui venaient murer les parking du Vercors devenus incontrôlables...

Mais il difficile de savoir exactement ce qui est fait. On apprend sur ces documents l’existence d’un service « Prévention, Médiation et Sécurité », mais quand on cherche Sécurité sur le site de la ville, on ne trouve que Hygiène et sécurité : l’habitat, la solidité, l’inspection des commerces de bouche, le bruit des perceuses et tondeuses, les animaux domestique et les nuisibles, la sécurité incendie. Ainsi que les numéros d’urgence de l’hôpital, des pompiers, de la police. AUCUN service municipal Prévention, médiation et sécurité n’apparait sur le site de la ville, pas plus que de service Tranquillité publique, tandis que sur Google, on voit défiler les services « Tranquillité » d’une multitude de villes. Au fil de nos rencontres, nous avons toutefois appris qu’il y aurait une soixantaine d’animateurs de rue, pris parmi les habitants, mais pas toujours suffisamment formés, ainsi que 3 à 6 éducateurs départementaux.

Cette introduction ne peut pas être un exposé exhaustif de la situation, seulement un aperçu. Signalons tout de même quelques phrases extraites des courriers de Madame Cordillot au Ministre de l’intérieur : « soucieuse de la tranquillité publique, attentive aux mécontentements, répétés et justifiés.... » elle demande le renfort de la police nationale et un commissariat de plein exercice. « Soucieuse », alors qu’elle est « responsable de par la loi » ! Dans une autre lettre, elle se plaint que « la situation est devenue explosive, que la densité humaine sur un même territoire rend plus difficile les rapports » entre les gens ... Comme si « densifier », passer de 55 à 70 000 habitants n’était pas SON objectif ! Comme si elle n’avait aucune responsabilité dans le fait que les habitants pauvres sont de plus en plus nombreux à Villejuif, comme s’il n’y avait aucun rapport entre construire toujours plus de logements sociaux et voir diminuer la mixité sociale, croître la pauvreté et les problème de sécurité et de tranquillité publique, comme si ce n’était pas à elle de s’assurer que les services publics, y compris les services municipaux de tranquillité publique, sont assez étoffés pour accueillir celles et ceux qui en auront besoin, notamment les habitants des actuels quartiers populaires de Villejuif, principales victimes de l’insécurité et de la « densité humaine » qu’elle dénonce…

Les enfants qui déferlent sur les fêtes de quartier et les kermesse parce qu’il n’y a pas de gâteau chez eux, les jeunes qui s’adonnent au trafic de cannabis parce qu’ils n’ont pas d’autres ressources et aucune perspective d’emploi... ce n’est évidemment pas la faute de la mairie. Mais accepter de concentrer la pauvreté là où elle est déjà supérieure à la moyenne, alors que la politique du gouvernement est au contraire d’appeler toutes les communes à accepter 25 % de logement sociaux, ça c’est la responsabilité de l’actuelle majorité municipale.

Est-ce du laxisme ? De l’incompétence ? Du renoncement ? Du mépris pour la tranquillité des habitants ? Ou simplement une politique clientéliste pour s’assurer « les bons » électeurs ? Nous n’avons pas de police municipale, un service de médiation qui tarde à se mettre en place, des élus démissionnaires qui ne se déplacent plus dans les conseils d’école, des politiques hostiles aux animations (il nous a fallu bagarrer, pétitionner pour obtenir le maintien du service d’animation des parcs départementaux, pour conserver une présence humaine dans le parc des Hautes-Bruyères), des freins incessants aux initiatives associatives, le refus des régies de quartier, le refus du bénévolat social...

La situation est devenue explosive, nous demandons conseil à Yazid Kherfi, ancien voyou devenu consultant en prévention urbaine et à Serge Supersac, ancien policier devenu conseiller expert en sécurité.

Intervention de Serge Supersac

Etant un technicien de la sécurité, j’interviendrai sur un registre moins politique. En effet, si la sécurité est un problème politique, la technique de sécurité correspond à une technique et non à une idéologie.

Je suis un expert, un chercheur, avec un parcours inverse de celui d’un universitaire. Je suis entré jeune dans le service public : l’armée, puis la police. Ce métier m’a tout de suite passionné. Plus tard, j’ai mis le nez dans les livres, j’ai eu la chance de travailler avec de jeunes chercheurs, à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice. J’ai mis à leur service l’expérience que j’avais acquise. En 2010, après une carrière dense, j’ai pris ma retraite de la police. Je suis actuellement chercheur associé à l’observatoire de la délinquance d’Aix-en-Provence, et missionné pour évaluer à Marseille l’impact du nouveau dispositif policier.

Comment aborder la sécurité dans une ville, quand elle ne semble pas être maîtrisée par les forces de sécurité ? S’il est facile de céder à la vision simpliste répression/prévention, en réalité la délinquance n’est pas une rançon de la ville moderne. Il y a des solutions, même si on ne les a pas encore trouvées. Il faut garder le moral et y travailler. Il existe du savoir sur la question, mais on a tendance à ne pas aller chercher ce savoir.

Commençons par une histoire de la police en France. Il y a quelques siècles, la ruralité était dominante et le contrôle social, qui permet la régulation de la paix civile, était suffisant. Le « contrôle social », c’est quand des habitants se mettent d’accord sur des façons de vivre et s’organisent ensemble pour une bonne paix publique. C’est facile dans un contexte rural car les gens sont habitués à travailler ensemble. Meilleur est ce contrôle social, moindre est le besoin de recours à des forces de sécurité. A l’époque rurale, les seuls problèmes de sécurité étaient posés par les itinérants, qu’on peut transposer aux étrangers d’aujourd’hui.

La maréchaussée et les gendarmes des villes ont été créés pour protéger les richesses des villes. En 1729, le magistrat Nicolas Delamare a rédigé le premier Traité de police. Il avait compris qu’au-delà du judiciaire, il faut s’occuper de la tranquillité publique et définir deux piliers dans la justice : la police administrative (qui s’occupe de la tranquillité publique), et la police judiciaire (qui recherche les criminels et autres malfaiteurs, après que le crime ait été commis). La police judiciaire s’est alors mise au service de la population tandis qu’auparavant elle ne servait que la noblesse.

En 1828, le préfet de police Debelleyme habille en uniforme les « sergents de ville » chargés de la tranquillité publique, pour aider la population à les reconnaître, et pour qu’ils ne puissent pas se dérober lorsqu’ils sont confrontés à un problème. Cette date correspond à l’émergence de la ville moderne. L’uniforme a ensuite essaimé partout en Europe. Ces sergents de ville furent les premiers à être au service de la population.

Quelques années plus tard sont créés les îlots : des quartiers auxquels sont affectés un gardien de la paix qui a la gestion de son îlot. Ça fonctionnait très bien, le gardien vivait au milieu des habitants et recevait toutes les doléances en matière de tranquillité publique. Ces policiers, pourtant moins valorisés que ceux de la police judiciaire, détenaient toutes les informations. Ils réglaient une grande partie des contentieux. Ça a fonctionné jusqu’en 1945.

Sergents de ville, gardien de la paix, ilotiers étaient alors municipaux (sauf cas particuliers). L’étatisation des forces de sécurité date de 1941 et dans les années 1950, le mode de surveillance a changé, les îlots sont remplacés par la mécanisation, le téléphone et la radio embarquée avec des policiers dans des véhicules. Les populations et les villes grandissants, on a préféré changer de technique plutôt que de recruter massivement. Désormais ils patrouillent de leur propre initiative, le contact avec la population est devenu aléatoire, ce mode de surveillance aboutit à la distanciation police/habitants.

Ensuite, on peut corréler la croissance des problématiques de délinquance en Europe avec le consumérisme, le rapport à la marchandise. Les biens deviennent abondants, largement exposés, ceux qui n’ont pas les moyens de se les acheter ressentent de la frustration, et volent.

Les politiques mettent beaucoup l’accent sur la distinction prévention/répression, qui oscille à chaque alternance (1977 : rapport Peyrefitte ; 1983 : rapport Bonnemaison), alors qu’en réalité il y a continuité : prévention, dissuasion, répression.

En 1983, le premier gouvernement Mauroy relance le débat sur l’îlotage, mais la politique d’austérité fait avorter le projet.

En 2002, un épisode de police de proximité a bien fonctionné : les habitants étaient contents de retrouver leurs policiers, échangeaient avec eux. Le policier de tranquillité publique devenait valorisé par rapport à celui de police judiciaire.

En 2007, les élections ont eu raison de la police de proximité. En instaurant une politique du chiffre : on a aussi changé complètement le principe de sécurité. On ne demandait plus de préserver la vie publique mais de faire plus d’affaires. Dans ces conditions, le gardien de la paix ne s’intéresse plus à l’habitant, seul le voleur l’intéresse.

En 2007 encore, la loi LOPPSI pour la sécurité intérieure dit clairement que les maires redeviennent responsables de la police administrative, tandis que la police étatique, nationale, se concentre exclusivement sur des missions de police judiciaire. Mais la LOPPSI ne transfère pas de moyens aux villes. Les maires se dotent (ou non) des moyens de police administrative selon leurs budgets.

Il y a aujourd’hui 30 000 policiers municipaux pour 35 000 communes : l’objectif n’est pas réalisé, on n’a pas donné aux maires les effectifs nécessaires à la police administrative.

En 2012, il y a eu 3,5 millions de faits constatés, c’est-à-dire des gens qui vont déclarer leur problème. Il faut ajouter 25% de ce nombre pour avoir le vrai nombre de problèmes.
Mais la sécurité, c’est une chaîne, elle ne s’arrête pas à la police, il y a la justice, qui doit réaliser la punition et la réinsertion. Sur les 3,5 millions de faits constatés il y a 600 000 affaires traitées par les tribunaux : un peu de déperdition quand même !

En fait, la police n’élucide quasiment pas les faits d’appropriation (les vols), il y a 7% d’élucidation des vols simples, un peu moins de 10% d’élucidation des vols avec violence. On peut en conclure que la force de police ne fait pas son boulot, et que vous n’intéressez pas le gardien de la paix.

On ne devrait pas parler de petite et moyenne délinquance, ou d’incivilités : ce sont des euphémismes, je préfère appeler ça de la délinquance générale. Pour une vieille dame, se faire arracher son sac, c’est grave, ce n’est pas de la petite délinquance !

Des solutions existent, je développerai tout à l’heure le concept de l’îlotier moderne, mais il faut aussi améliorer le contrôle social.

Intervention de Yazid Kherfi

J’ai inventé mon métier, la prévention en délinquance urbaine. Hier j’étais à Bondy jusqu’à minuit, demain je suis à Longjumeau. J’y vais souvent la nuit car c’est là qu’il y a des problèmes. Et c’est vrai qu’à cette heure ci il n’y a rien d’ouvert dans les villes, sauf les commissariat.

Derrière la violence il y a des causes, il ne faut pas seulement travailler sur les symptômes. Je travaille beaucoup en prison. J’interviens avec les surveillants pour qu’ils connaissent mieux les incarcérés. La réinsertion se fait mal, on met beaucoup de moyens dans la répression, peu sur la réinsertion. En France, pour 100 détenus, il y a 39 surveillants et 1 qui bosse sur la réinsertion.

Je travaille sur les rapports jeunes/polices, j’organise des débats entre eux, bien sûr des conflits s’expriment mais c’est mieux que la violence. Le conflit ça veut dire que la personne existe. Ensuite, jeunes et policiers cherchent comment améliorer leurs relations, ils ont beaucoup d’idées. J’interviens aussi au lycée, pour les rapports entre jeunes et adultes. Je donne des cours en master à Nanterre sur les politiques de prévention.

Je m’intéresse à ces questions car pendant 15 ans j’étais voyou et j’adorais emmerder les gens, c’était une façon d’exister, et à chaque fois que j’allais en prison j’en sortais pire. Je ne me faisais que des copains délinquants. En prison on fréquente tous les corps de métier malhonnêtes. C’est une école du crime mais aussi, à cause du comportement des policiers, t’as plus de haine en sortant. Ça explique la récidive. Le taux carcéral ne suffit pas, faut des sanctions qui soient décourageantes. Mais en sortant ils ont la même situation qu’avant d’y rentrer.

Qu’est-ce qui fait que j’ai changé ? Lors de ma dernière peine pour braquage je devais être expulsée du territoire. Dans mon dossier ils ont toujours dit qu’on devait m’expulser et que j’étais irrécupérable. Mais dans ma ville des gens ont trouvé que c’était pas normal car j’ai toute ma famille ici. Ma délinquance n’est pas le problème de l’Algérie, c’est la France, où je suis né, où j’ai grandi , qui fait que je suis devenu comme ça. Des gens se sont mobilisés et à 31 ans c’est la première fois que j’ai entendu dire que j’étais intelligent. Alors pour leur faire plaisir j’ai décidé de devenir quelqu’un de bien. J’ai eu ma licence mention TB et j’enseigne en master. Les gens m’ont regardé autrement, ça m’a fait changer.

J’ai alors décidé de tout faire pour empêcher que les gens récidivent. Il faut mettre des gens honnêtes au milieu des voyous, pour faire changer les voyous, et des gens bien formés, dans des maisons des jeunes qui ferment tard, à 2h du matin. J’ai un camion, un barnum, je me gare dans une cité, les jeunes viennent discuter avec nous. La parole c’est plus fort que la violence, il faut recréer des lieux de parole.

Il y a beaucoup de problèmes d’incivilités qui sont rarement poursuivies, par exemple le tapage nocturne. Ce sont pourtant de vraies infractions. Il faut que les habitants participent au contrôle social, parfois avec l’aide des policiers, parfois avec les médiateurs. Mais il faut régler le problème des adultes avant de régler celui des jeunes, comme ces parents n’interviennent qui pas, ou ces habitants d’un immeuble qui ne vont pas se plaindre du bruit auprès des gens bruyants mais qui appellent tout de suite la police.

Débat

Au cours du débat, les habitants ont eu l’occasion de témoigner de leurs problèmes et de discuter les suggestions de Serge Supersac et Yazid Kherfi en matière de prévention, dissuasion et répression de la délinquance.

Témoignages d’habitants

* Une dame habitant la résidence Paris-Orly, 149 rue Jean Jaures (qui donne aussi sur l’avenue Gorki) raconte : « Je vis là depuis 27 ans, je suis très ennuyée. Longtemps, ça a été un endroit agréable, il n’y avait pas de problème dans la rue, on pouvait dormir tranquillement. Puis les constructions se sont accumulées de part et d’autre, immeubles privés et HLM.

Récemment, des gamins sont grimpés sur un toit surplombant notre jardin, ils trouvaient amusant d’y lancer des bouteilles de verre qui éclataient par terre... La première fois je n’ai rien dit. Quelques jours après, ils ont recommencé, je me suis mise à la fenêtre, j’ai demandé si ça allait durer. Comme ils ne bougeaient pas, j’ai sorti mon appareil photo, ça les a inquiété ! Quelques jours plus tard, je les ai croisé dans la rue : un gamin de 12 ans, et son petit frère de 4 ans, m’ont demandé ce que j’allais faire des photos. J’ai répondu que ça ne les regardait pas.

Une autre fois que je grondais les petits sur le toit, quelqu’un est sorti cagoulé, il a sifflé pour signifier aux mômes de descendre. J’ai alors appelé le commissariat du Kremlin-Bicêtre, voici ce qu’on m’a répondu : « Ne vous inquiétez pas, c’est normal, les Marronniers on sait que c’est un endroit où il y a du trafic de drogue. »

D’autre part, devant l’entrée de notre résidence, il y a des adultes qui boivent, fument et restent toute la journée et une partie de la nuit. Les flics ne s’arrêtent jamais quand ils passent devant. Vous parlez de dialogue, mais moi j’ai juste la trouille ! »

* Un groupe de personnes habitant Sentier de la Commune, près du Collège Jean Lurçat, raconte des cambriolages et des voitures saccagées, même dans la journée. Ils ressentent la situation comme explosive, comme la création d’une zone de non-droit où la délinquance croît à une vitesse vertigineuse. Ils ont le sentiment que des personnes ont réussit à imposer leur présence, leur force, dans leur rue. Ils se demandent où est leur part de responsabilité, s’ils ont raté le dialogue. C’est d’autant plus préoccupant qu’il s’agit d’une zone d’éducation, où les collégiens passent chaque jour. « Une fois j’ai dis à mes enfants de s’abriter derrière une voiture car ça volait ». Comme la mairie ne leur répond pas, alors qu’elle a la responsabilité de la tranquillité publique, ils envisagent de recourir au Tribunal administratif.

* D’autres personnes considèrent que la situation se dégrade particulièrement autour d’Aragon. Des maisons sont rachetées pour être détruites, mais elles sont squattées. Les squats Heaven et la Bouée organisent des concerts très bruyants chaque nuit, qui empêchent les voisins de dormir. « On a prévenu la municipalité mais il ne se passe rien. » Comme Yazid Kherfi remarque qu’il faudrait murer tout de suite ou mettre des portes blindées pour pas que ça soit squatté, Natalie Gandais et Monique Lambert suggèrent que la mairie laisse exprès pourrir le quartier pour expulser plus facilement les habitants de la ZAC.

Restaurer le contrôle social par le dialogue, avec l’appui de médiateurs

Les uns et les autres s’interrogent sur le dialogue : est-ce si facile ? « Je suis admirative de ces gens qui essayent d’entamer le dialogue, le dialogue c’est bien mais on ne parle pas le même langage ». « Le dialogue, parfois c’est dangereux ! ». « Je n’ai pas beaucoup entendu le mot « crise de l’autorité ». Parce que quand on parle de social on a l’impression que ces personnes on en parle comme si elles étaient pas soumises à ce contrôle social. Cette autorité on devrait pas la rappeler à toute l’échelle ? Qui rappelle aux parents leur devoir ? Il y quelque chose à dire sur le préventif. »

Yazid Kherfi répond qu’on rencontre plus de problèmes avec des gens auxquels on ne parle jamais. Il donne l’exemple de sa mère qui, à 79 ans, descend pour faire cesser le bruit. Comme elle a de bonnes relations avec eux les autres jours, ils la respectent, tandis que si on vient juste pour les engueuler, il ne respectent pas. C’est aussi à ça que servent les repas de quartier, a faire que les gens se connaissent et se respectent. Souvent, ce sont 3-4 jeunes qui pourrissent la vie de tout le monde alors qu’il y a 300 habitants dans le quartier. C’est aux 300 d’intervenir, une personne seule ne suffit as ! Si la police intervient, ça va recommencer dès qu’elle part. Les jeunes testent les terrains et s’installent s’il n’y a pas de réaction des adultes. Alors comment les habitants peuvent résoudre ça avec l’aide de la police ? Quand les habitants ont peur des représailles, quand le voisinage n’y arrive pas, un médiateur doit intervenir. Les médiateurs peuvent améliorer le vivre ensemble et gérer les petits conflits de voisinage.

Des lieux de parole ouverts aux jeunes

Des personnes pensent nécessaire de préciser les besoins en infrastructures sociales à Villejuif, de mieux les répartir et mieux les animer selon les différents quartiers. Par exemple, à Pasteur depuis plusieurs années, des groupes de 25-30 jeunes se réunissent à côté du stade. Il y a une structure juste à côté, avec des animateurs, mais les jeunes ne s’y impliquent pas, ils n’y vont pas. Yazid Kherfi répond qu’en effet, c’est à la politique Jeunesse de réfléchir à des lieux ouverts, y compris tard le soir, pour les jeunes, c’est aux animateurs d’aller à la rencontre des jeunes pour les faire venir dans ces lieux.

La question de la création d’une police municipale

Un habitant, responsable d’une association et ancien policier, qui a connu la police de proximité, favorable à la prévention, demande s’il faut une police municipale à Villejuif. Elle n’aurait pas les mêmes pouvoirs que la police nationale. La Ville en a-telle les moyens ?
Yazid Kherfirépond qu’avec le désengagement de l’État, ça peut être utile et faire office de police de proximité. Il faudra ensuite préciser comment on l’équipe, si l’armement est nécessaire ou si on a seulement besoin de leur présence. En tout cas, ce seraient des personnes différentes de celle qui mettent des contraventions pour le stationnement.

La question des caméras de surveillance

Quelqu’un suggère d’ajouter de la vidéo surveillance partout, arguant que dans le métro parisien, cela permet de résoudre beaucoup de problèmes. Serge Supersac répond qu’en effet les caméras ont un rôle dissuasif, qu’elles sont utiles dans les lieux fermés comme les parking ou les banques, mais moins sur les lieux ouverts, car on ne peut réagir qu’après les faits. Le coût (20 000 euros par caméra) est à comparer avec celui de la présence humaine, car il équivaut à la moitié du coût d’un éducateur. D’autre part, les délinquants s’adaptent toujours aux nouvelles technologies et bravent les caméras avec des cagoules.

Les étrangers...

Un habitant observe que « les jeunes d’origine étrangère qui sont délinquants ici, quand ils vont dans leur pays d’origine, chez leur parents ils ne se comportent pas comme ça car il y a une répression et des règles de vie. C’est pas parce qu’ils ne trouvent pas de boulot qu’ils font ça, c’est parce qu’ils ne sont pas éduqués. »

Serge Supersac propose une réponse : « Par rapport aux jeunes d’origine étrangère qui ne se permettent pas ailleurs ce qu’ils font ici, j’ai fini par trouver une réponse. Quand j’étais en Afrique, j’ai compris la vraie pauvreté : les gamins ne savent pas où ils dorment le soir ni ce qu’ils vont manger. Et eux étaient souriants et ne posaient pas problèmes. En fait c’est le degré de frustration, d’anomie, par rapport à l’endroit dans lequel on vit, qui aboutit à de la délinquance. »

Les « jeunes »

Un habitant déplore qu’on stigmatise « les jeunes », c’est vrai que c’est plus souvent des jeunes qui sont en cause avec les problèmes de délinquance. Serge Supersac répond que dans Une histoire de la violence, Robert Muchembled se demande à quel moment la société a été confrontée à des phases violentes, et que cela arrive quand une portion de la société ne trouve plus sa place au sein de cette société. Or le jeune est une personne qui cherche à devenir adulte car adulte = autonomie = pouvoir. Et le jeune devient adulte par le sang (nation, tribu), la sueur (travail) et le sperme (famille). Et justement les jeunes ont du mal à devenir adulte car ces choses ont été bouleversées. Surtout que les adultes ne sont pas pressés de laisser leur place (jeunisme).

Une ville sale qui attire la délinquance

Enfin, on observe que la ville est sale, que les espaces publics ne sont pas respectés, qu’on a honte d’y faire venir des amis. Serge Supersac répond qu’en matière de contrôle social, l’hygiène et la propreté sont fondamentales. Il rappelle l’expérience « Tolérance zéro » dans le métro new-yorkais, les rames qui rentraient taguées à minuit repartaient propres à 5h, ce qui a eut pour effet de considérablement diminuer la délinquance dans le métro.

Au bout d’un moment, les interpellations des habitants fusent, exprimant la gravité de la situation : « Je suis issue de l’immigration algérienne, quand mes parents sont arrivés en 1957 c’était un havre de paix. Mais là ça enfle et ça risque d’aboutir à du conflit très grave. Les gens sont prêts à monter des milices ».« La ville a évolué, elle a grandit, mais là, à vouloir construire à outrance, elle va imploser. Cette politique de la ville est irresponsable, c’est une bombe à retardement. Il faut améliorer la qualité de vie des gens. Nos enfants ne trouvent pas de logement donc partent, et pourtant on arrête pas de construire. Alors pour qui on construit ? » « On ne dort plus. Il y a des voitures volées dans les parkings. Maintenant c’est trop tard ces histoires de flics. Là la situation est installée et se dégrade à toute vitesse. C’est terrible la détérioration depuis l’année dernière. Qu’est-ce qu’on fait ici et maintenant ? »

Natalie Gandais répond que cette réunion a justement été organisée pour mieux prendre connaissances des préoccupations des uns et des autres. Elle partage le sentiment que la mairie fait peu d’efforts, laissant aux habitants le soin de se débrouiller. Elle constate que des gens sont malheureux parce qu’ils ont au quotidien à subir des situations inacceptables. Elle rappelle que nous sommes dans l’opposition et que nous ne pouvons pas tout changer dès demain. Elle souligne que des moyens financiers semblent être mis en œuvre, mais que les résultats ne sont pas à la hauteur des enjeux. Les Ateliers de l’Avenir ont souhaité cette mise en débat pour esquisser des solutions. Evidemment, 2h -3h de discussion ne donnent pas immédiatement la baguette magique !

En conclusion, Serge Supersac se dit impressionné par le désarroi qui s’est exprimé ce soir, et récapitule ses propositions, un éventail de solutions avant certaines actions. Si aujourd’hui on cherche à arrêter un gros trafiquant de coke mais on ne règle pas votre problème, c’est que pour les autorités votre problème est un petit problème.

Il y a 3 pistes majeures pour aller au bout d’une logique de tranquillité publique

1) Travailler le concept d’îlotier moderne. Revivifier la police administrative. L’ îlotier moderne peut saisir les services sociaux, ça fonctionne à Marseille.

2) Revisiter le principe de fonctionnement de la justice en modernisant son action. On a actuellement une magistrature figée qui ne veut pas « forfaitiser », sauf les amendes pour la délinquance routière. En 2002 il y a eu les radars. Il fallait travailler sur le comportement des usagers et rendre la sanction efficace. En 10 ans, on a eu -50% de morts (chiffre qu’on avait obtenu en 30 ans auparavant) parce qu’on a travaillé sur le comportement des conducteurs. La justice aujourd’hui est incapable de bosser sur l’infraction de masse : on sait gérer Jack l’éventreur, pas le taggeur.

3) Replacer le citoyen au cœur de sa sécurité dans la mesure où c’est possible pour lui. En 1945 les milices ont terrorisé, depuis les pouvoirs publics ont dit « surtout n’engagez pas les citoyens dans la sécurité », mais ce n’est pas possible, chacun doit de nouveau se sentir responsable

La population délinquante n’est pas énorme, mais le problème c’est qu’il n’y a pas d’éducatif après la sortie de prison.

Il y a donc ces 2 piliers, les missions de police administrative et et de police judiciaire, qui ont chacune un rôle important. Mais on ne fait plus que du judiciaire (en réaction après le délit). Et c’est ça votre souci. Il n’y a aucune proactivité. Une gestion républicaine de la sécurité, ce serait d’intervenir en amont. Il y a plusieurs phases dans la prévention : l’éducation familiale, nationale... La prévention en matière de sécurité, ce n’est pas toujours l’angélique ! Les îlotiers ne ressemblent plus à ceux qui discutaient avec les gens. Aujourd’hui ça se fait avec un téléphone et on répond aux attentes exprimées. Le policier d’aujourd’hui essaye de réguler un maximum de choses. Il y a 11 policiers à Marseille : ils vont voir le tissu associatif, discuter avec les « habitants charismatiques », tissent un réseau de confiance, s’interrogent.

A l’issue de la soirée, nous partageons avec Yazid Kherfi et Serge Supersac le sentiment que Villejuif est arrivé à un point de bascule, que la situation a réellement empiré en un an ou deux et qu’elle est devenue insoutenable pour les habitants. Yazid Kherfi rappelle que le préfet peut passer au-dessus du maire s’il n’agit pas. Et si ça non plus ça ne marche pas, c’est un dysfonctionnement. Dans ce cas, il faut interpeller les médias, apporter des preuves...

Justement, les Villejuifois ne se résignent pas et s’organisent, en associations, en collectifs, cherchent des solutions. Par exemple, les Habitants et Riverains d’Aragon annoncent leur prochaine rencontre avec le Préfet.

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