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8 septembre 2014
Alain Lipietz

Honneur à Dikran Lorénian !

Dimanche 7 on fêtait avec quelques jours de retard les 70 ans de la Libération de Villejuif. Petit hommage perso à un grand Villejuifois.

Le maire (en vrai gaulliste) avait bien fait les choses : 1ere cérémonie devant la plaque de deux insurgés tombés sur la barricade à l’entrée sud de Villejuif, fauchés par l’obus d’un tank allemand (angle Jean-Jaurès/Louis Aragon), puis défilé jusqu’à la place des Fusillés, puis jusqu’au monument aux morts devant la mairie. Je donne le bras à Claudie Lorénian, mémoire du vieux bourg. Et à chaque étape, discours, gerbes (remarquable capacité de la 1ere adjointe au dépôt de gerbe avec jupe-crayon).

On nous lit la lettre de M. Bretagne (ancien combattant, PCF). A nouveau l’éloge de l’invasion de la Pologne par l’Union soviétique au nom du pacte de non-agression Hitler-Staline. Bon, on va pas revenir là-dessus, j’ai déjà rappelé ce pacte criminel et ses conséquences dramatiques pour son maire communiste de l’époque, Georges Lebigot. L’exposé de M. Bretagne est plus intéressant quand il décrit Villejuif dans l’insurrection populaire qui a anticipé l’avance des forces alliées. Si j’ai bien compris, les Villejuifois se sont barricadés dans le vieux Villejuif, faute de pouvoir barrer le boulevard Maxime Gorki, où évoluent les chars allemands qui ont tiré l’obus fatal. En fait, toute la partie « large » de la N7 jusqu’à l’avenue d’Italie ne pouvait être barrée et se trouvait sous le feu ennemi. Ce qui me ramène à Claudie Lorénian et à son papa. Voici pourquoi.

Voua vous souvenez du film Paris brule-t-il ? On y voit le général Leclerc et sa 2e DB devant la prison de Fresnes (coin encore rural au moment où le film est tourné, 1966 ! J’avais oublié, et pourtant j’y allais tous les mois cette année-là faire danser les prisonnières. Le temps passe.) Leclerc donne l’ordre au Capitaine Dronne (avec sa jeep « Mort aux cons », De Gaulle commentera quelques jours plus tard « Vaste programme ! ») et à sa compagnie de républicains espagnols de foncer vers l’Hôtel de Ville de Paris, « en oubliant les Allemands ». Quelqu’un dit : « Prenez l’Avenue d’Italie, la rue de la Vistule, les quais ».

Eh bin non ! Par cet itinéraire là, ils se seraient fait canarder, comme nos deux Villejuifois de Louis-Aragon. C’est justement un autre Villejuifois qui va les guider, par la Poterne des Peupliers : Dikran Lorénian, le papa de Claude.

Comme son nom l’indique, Dikran était immigré arménien. Il avait acquis des champs dans Villejuif. Sa ferme était rue René Hamon (elle sera expropriée par la Sadev et rendue inutilisable par Arcade pour construire les résidences du centre-ville). Sur son triporteur, il livrait en œufs et fromage les hôpitaux et les prisons, et pouvait repérer les points d’appui allemands : d’où la mission de guider la 2e DB que lui avait confié le colonel Chaban (Alain Delon, dans le film).

Le Parisien du 24 aout a rendu hommage à Dikran pour cette contribution à la Libération. Mais Dikran Lorénian a fait bien plus pour la ville. Dans sa ferme il embauchait des Italiens fuyant l’Italie fasciste (dont le grand père de notre actuelle déléguée au logement, Annie Grivot), il cachait dans la citerne des juifs et des parachutistes. Parfois il disait à la petite Claudie d’aller jouer au cerf-volant : en fait c’était un signal codé.

Entre autres terrains agricoles, il possédait un verger au sud de la ville. Ce verger, enclos, avait 5 clés. Louis Dolly, le maire à la Libération, en avait une, les prêtres-ouvriers de Sainte Colombe qui accueillaient un bidonville dans leur jardin (aujourd’hui, Sœur Colette y a ouvert un potager communautaire) en avaient une autre. Ces clés étaient confiées aux familles qui crevaient de faim. La situation alimentaire s’est peu à peu améliorée, mais l’exode rural était violent en ces années d’après-guerre, et la crise du logement a vite succédé à la crise alimentaire. Alors Louis Dolly a dit à Dikran : « Il faut que tu me cèdes ce verger, j’en ai besoin pour loger les gens ». Et le verger (ci-dessous) est devenu… Lamartine.

Reconnaissez vous le bâtiment qu’on voit derrière Dikran Lorénian à Lamartine ?

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Commentaires

2 Messages

  • observateur...dubitatif 27 septembre 2014
    11:25

    Monsieur Lipietz,

    J’ai lu cet article avec un peu de retard mais beaucoup d’attention.
    Après l’économiste de renommée prétendument internationale, le politicien rompu à toutes les ficelles, y compris les plus contre nature, le ciseleur du mensonge érigé en vérité, voila maintenant que vous enfilez les habits de l’historien !

    Vous ne pouvez pas ignorer que la première qualité d’un historien est de vérifier ses sources.
    Je vous cite : Leclerc donne l’ordre au Capitaine Dronne (avec sa jeep « Mort aux cons », De Gaulle commentera quelques jours plus tard « Vaste programme ! »).

    Deux affirmations, deux erreurs !
    Je vous joints un extrait du carnet de route du Capitaine Dronne concernant sa jeep et un commentaire du Cercle d’Etudes Charles De Gaulle concernant la réplique du Général.

    Je ne suis pas sûr que vous publierez ma réponse, mais je suis certain que vous la lirez , ce qui somme toute est le plus important.

    Carnets de route d’un croisé de la France Libre / Raymond Dronne

    p.278 9 Aout : nous fonçons vers Le Mans.....
    La mort d’une jeep.... au retour, un peu avant minuit, la jeep se fracasse contre un véhicule arrêté sur la route. Nous sommes tous éjectés et plus ou moins contusionnés....Nous rentrons à pied au bivouac... La jeep est morte.
    Pauvre Jeep elle avait été baptisée d’un nom irrévérencieux "Mort aux cons"... un petit fanion noir,... (portant) cette virile devise surmontant une tête de mort et deux tibias entrecroisés.
    Le jour où nous avions choisi les noms de nos voitures, au Maroc, les hommes avaient proposé d’inscrire sur la jeep du capitan la devise du fanion... Le surnom de la jeep avait suscité quelque émoi. En Angleterre, le général Leclerc m’avait dit un jour :"Dronne, enlevez moi ça !"
    Quelque temps aprés, comme "ça" existait toujours, il avait lancé en souriant cette boutade délicieuse : "Pourquoi voulez vous tous les tuer ?"
    Le général de Gaulle, auquel aprés Paris on aurait rapporté le fait, aurait dit on, émis ce jugement aussi bref que péremptoire : "Lourde tâche, Lourde tâche !"


    De ce texte, il ressort que le Jeep "Mort aux cons" aurait été détruite AVANT la libération de Paris. Toutefois, le capitaine Dronne a utilisé une autre jeep, trés probablement ornée au moins du fameux fanion, puisqu’il déplore que quelqu’un le lui a volé. A Paris, cette fois.

    https://sites.google.com/site/charl...

    Selon Mignon (Les mots du Général, Fayard, 1962), un membre du mouvement se serait écrié, au cours d’une réunion : "Mort aux cons", à quoi le Général qui, d’un bureau voisin, avait entendu, aurait ajouté :
    "Vaste programme !"
    D’après Billotte (30 ans d’humour avec de Gaulle, édit. Mengès, 1978), cela se serait passé dans le bureau des aides de camp, où Jean Pompéi, compagnon de la Libération, aurait clôturé son intervention par les mêmes mots. Du bureau voisin, de Gaulle, attiré par les éclats de voix, a ouvert la porte et lancé alors la célèbre expression.
    Enfin, selon Jullian (De Gaulle, pensées, répliques et anecdotes, Le cherche midi, 1994), c’est Louis Vallon qui aurait crié les trois mots provocateurs…
    Où est la vérité historique ?

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    • Alain Lipietz 28 septembre 2014
      12:10

      Cher Observateur dubitatif
      Vous ne pouvez ignorer que la première qualité d’un critique littéraire est de lire le texte qu’il critique. Je n’écris nulle part que la jeep de Dronne portait à Fresnes la mention « Mort aux cons » dans la réalité, mais dans le film Paris brûle-t-il ?, film dont je cherche justement à corriger le récit de l’anecdote de Fresnes. Quant à de Gaulle, le témoignage qu’il aurait refait la même blague dans le siège du RPF, ou à Jean Pompéi, ou à Henri Vallon, n’infirme en rien la légende courante selon laquelle il l’ait sortie aussi à Dronne en lisant sa jeep (car je doute fort que Dronne ait négligé de réécrire « Mort aux cons » sur sa nouvelle jeep et suis prêt à parier qu’il l’a recopié jusque sur sa dernière bagnole).
      Il semble que tout simplement l’expression « Mort aux cons » était courante dans les années 30. Sur le fond, elle exprime avec verdeur « l’hétérodoxie anti-libérale » de ces années-là, de la « droite révolutionnaire » aux cryptos du genre Malraux : on en retrouve la trace jusque chez Eluard dans le célèbre Novembre 36 (« Regardez travailler les bâtisseurs de ruine… »). Il est cependant probable que de Gaulle a inventé, en une occasion quelconque, cette réponse sceptique, qui traduit bien son modernisme autoritaire et son réformisme tempéré (mais je suppose qu’’il est mort en pensant que Dronne avait raison), et qu’à partir de ce moment elle était devenue sa réponse automatique à tous ceux qui proféreraient Mort aux cons !, avant de devenir la devise du Canard enchainé dans les circonstances similaires, ce qui était déjà le cas quand j’ai commencé à le lire au début des années 60.
      A part ça vous avez raison : la vérité historique est encore plus insaisissable dans ses détails que dans ses grandes lignes. Pour rédiger La Sncf et la Shoah, je disposais de pas moins de 4 récits familiaux différents sur la façon dont ma famille est rentrée chez elle après la libération des déportables de Drancy par le consul Nordling, et j’ai imprimé celle de mon oncle, parce que la plus « typique » de l’époque : dans la camionnette du frère du ferrailleur-truand juif et collaborationniste Joanovici.
      Quand la légende dépasse en vérité la réalité, il faut imprimer la légende.

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