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25 novembre 2019
Alain Lipietz

Condamnations du maire : « C’est pas moi, c’est la Commune ! »

Vendredi 22 avait lieu un procès en diffamation du maire contre notre site et son directeur Alain Lipietz. Visé : la page où je dénonçais « Un budget cyniquement insincère ». L’avocat du maire a dû battre en retraite, jusqu’à de pauvres arguties.

La plainte du maire

Elle vise l’article « Quand le maire réinvente l’insincérité budgétaire » où je rapportais, avec un peu de retard, le débat du conseil municipal du 11 décembre 2018 sur le budget 2019.

Je n’ai pas été surpris quand un huissier m’a apporté la plainte de F. Le Bohellec. Dans un débat précédent, il m’avait lancé : « Monsieur Lipietz, vous parlez d’insincérité budgétaire ? Les mots ont un sens. Voulez-vous rentabiliser votre avocat ? ». La menace était claire : frapper à la caisse, en frais d’avocats, notre petite association L’Avenir à Villejuif à la veille des élections municipales, alors que lui couvre les palissades de Villejuif de banderoles et immenses affiches à sa gloire, ce qui est interdit : mais s’il est condamné, c’est la Commune, c’est à dire nous, qui paierons, d’une façon ou d’une autre.

Mais la menace ne nous fait jamais peur quand il s’agit de l’intérêt général. Conseiller municipal d’opposition, rémunéré 55 euros par mois, je fais mon boulot en informant les Villejuifois. Et là, j’apportais la preuve, dans le texte, que le budget 2019 était insincère : le maire n’avait pas l’intention de réaliser les embauches promises et ne pourrait réaliser les investissements dans l’année. Ce qui s’est confirmé le 30 septembre dernier : le maire se retrouve avec plus de 30 millions non dépensés, il met au vote un budget rectificatif... et perd sa majorité..

Je me demandais donc de quoi j’étais accusé. En lisant le texte de la plainte remise par l’huissier, je constate que le plaignant (F. Le Bohellec) affirme que mon article est « infamant et attentatoire à son honneur, de bout en bout ». Ce n’est pas loin de ce que je pense de sa gestion, mais je n’aurais pas osé l’écrire comme ça : qu’elle est infâme et déshonorante ! Je me réjouis d’avoir à le faire dire par la justice. Il n’y a pas de sanction pénale prévue pour l’insincérité budgétaire : ça serait au moins une sanction morale.

Sauf que pas du tout ! En tournant les pages, je me rends compte que F. Le Bohellec, ne pouvant contester que son budget est insincère, attaque seulement le petit bout de phrase « le maire (pourtant désormais tendance droite-Wauquiez, déjà plusieurs fois condamné par la justice et sous le coup de plusieurs enquêtes de police ».

Sans expliquer en quoi « être dans la droite tendance Wauquiez » est infamant, la plainte de F. Le Bohellec insiste d’abord longuement sur le fait qu’il est attaqué en tant que maire (circonstance aggravante, que je ne conteste nullement, bien contraire). Puis il travestit le reste de ma phrase en : « déjà plusieurs fois condamné par le tribunal correctionnel et sous le coup de plusieurs enquêtes judiciaires » !

Évidemment, il suffit de remonter les yeux de deux lignes pour constater que je n’ai jamais dit ça ! À ma connaissance le maire n’a pas encore été condamné par un tribunal correctionnel, mais par les tribunaux prudhommaux et administratifs, la sous-préfète a déclaré qu’un de ses délits relève de la Cour d’Assises, etc. Et je peux prouver qu’au moment où j’écris ces lignes au moins deux enquêtes préalables sont en cours par la police, mais je ne sais pas si un juge d’instruction est nommé qui en ferait des enquêtes « judiciaires ».

Il y a de nombreuses procédures en cours contre le maire : je prépare un tableau récapitulatif. Mais avec mes avocats, Me Henri Leclerc, ancien président de la Ligue des Droits de l’Homme et ami de 50 ans, et Me Weber (aucun rapport avec une personnalité villejuifoise...), nous préparons nos réponses en choisissant les preuves de deux enquêtes et de deux condamnations.

Le Procès

Quand j’arrive au tribunal, mes avocats me communiquent un nouveau long texte de l’avocat de F. Le Bohellec. Je le parcours rapidement. Une sorte de plaidoirie de la chauve-souris (je suis oiseau, voyez mes ailes, je suis souris, voyez mes poils). C’est bien en tant que maire et pas en tant qu’individu, écrit-il, que F. Le Bohellec est accusé par mon article, mais ce n’est pas lui qui est condamné dans les deux cas que j’ai choisi comme preuve, mais « la Commune de Villejuif » !

Pour les tribunaux prudhommaux et administratifs, c’est formellement exact, et dans plusieurs de mes articles concernant ces condamnations je rappelle que, quand une décision ou un mensonge du maire est condamné, c’est la Ville, donc NOUS, Villejuifois(e)s, qui payons, sur nos impôts locaux ou par une baisse des services publics !

Pourtant, dans un article sur la condamnation par la Cour d’appel administrative de l’expulsion de la Bourse du travail, je cite le facebook de F. Le Bohellec. Il écrit lui-même « Le maire n’a dépassé ni ses attributions ni sa délégation », c’est bien une décision du maire, en tant que maire, qui est condamnée. Et pas « la Commune » : la pauvre n’y est pour rien, mais en effet elle paye.

Malheureusement, je ne me suis pas préparé à cet argument de dernière minute, je n’ai pas la photocopie de mon article.

Mes avocats font leur boulot. Ils soulèvent d’abord deux fautes de procédure du maire : il n’a pas choisi un avocat du bon barreau, et il ne précise pas ce qu’il attaque exactement : ma dénonciation du budget insincère, ou ce qu’il souligne, son appartenance à « la droite tendance Wauquiez etc. » Sa plainte serait donc nulle.(*)

L’avocat riposte en m’accusant de ne pas oser le débat de fond.

Je lui réponds vertement que c’est moi qui ai écrit l’article, justement pour porter le débat de fond devant la population.

Me Leclerc plaide en rappelant ce qu’est le droit de la presse dans les débats politiques : on n’est pas obligé de rédiger ses articles dans le vocabulaire de la justice, mais de façon à transmettre un message aux citoyens, sans animosité personnelle (il précise : par exemple, une animosité due à une rivalité amoureuse...) mais sans craindre l’exagération.

J’expose en détail mes preuves. J’ai choisi les condamnations dans l’affaire Serfati et dans l’affaire de la Bourse du travail, et les enquêtes en cours sur la Halle des sports (où F. Le Bohellec est accusé de « flagrant délit de chantage » pour faire obstacle au signalement d’un soupçon de favoritisme) et le caviardage du rapport sur la sécurité incendie de l’OPH (que la police a enregistré comme « tentative d’escroquerie » vis-à-vis d’éventuels acheteurs de l’OPH).

L’avocat de F. Le Bohellec intervient en avant-dernier, ne conteste plus les enquêtes, mais se concentre sur « C’est pas le maire, c’est la Commune qui est condamnée ! », comme si c’était une faute des services ou des conseillers municipaux.

Je conclus en rappellent d’où on est parti : « Monsieur Lipietz, vous parlez d’insincérité budgétaire ? Les mots ont un sens. Voulez-vous rentabiliser votre avocat ? » F. Le Bohellec et son avocat ont successivement renoncé à dénier que le budget soit insincère, qu’il soit de la droite tendance Wauquiez, qu’il y ait des enquêtes policières contre lui, et qu’il y ait eu des condamnations. Reste quoi ? Que j’ai écrit que « le maire » avait été condamné , alors que c’est « la Commune », le maire lui-même ayant toutes délégations et attributions !

Je rappelle que c’est un article destiné à être lu par les habitants ordinaires de Villejuif, pas par des spécialistes du style du Droit. Écrire, c’est souhaiter être compréhensible... Néanmoins, j’assène de temps en temps aux lecteurs les plus curieux un petit cours de droit sur la justice française, la distinction entre les différentes juridictions, etc., comme ici, justement.

Jugement rendu en janvier.

(*)Dans un jugement rendu cette même semaine , le même tribunal a débouté le maire pour une autre plainte en diffamation contre P. Vidal et P. Nunes, conseillers municipaux, déjà pour une faute de procédure.

Il faut rappeler encore une fois que les avocats du maire sont payés par la Commune ("protection fonctionnelle" qu’il a refusé même à la première adjointe, qui ne peut se payer un avocat), que devant certains tribunaux, même s’il a perdu, c’est encore la Commune qui paie, mais que ses adversaires paient leurs avocats même quand ils gagnent le procès !

Ses plaintes tous azimuth relèvent donc d’une sorte de guerre économique menée contre les oppositions... avec l’argent des contribuables.

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