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16 mai 2016

Corruption, lanceurs d’alerte, et Compagnie : compte-rendu de l’Atelier avec Eva Joly

L’Atelier de l’Avenir à Villejuif avec Eva Joly a fait salle pleine. Compte-rendu d’un débat passionnant.

Nous n’avons obtenu que la salle Radot, où nous avons pu faire tenir 60 chaises. Une quinzaine de personnes ont pu se glisser debout, les autres hélas devront rebrousser chemin…

Photographies : François Girard

En attendant, Jeanine s’inquiète de la hauteur du nouvel immeuble aux Roses rouges
Entrée des artistes

La librairie Points Communs tient un stand de livres sur les lanceurs d’alerte, celles et ceux qui au péril de leur emploi et parfois de leur liberté dénoncent de l’intérieur un scandale politico-financier (ou médical). Elle fait des affaires !! Le loup dans la bergerie, le dernier livre d’Eva Joly, se vend comme des petits pains.

Dans la salle on voit beaucoup de simples curieux, mais aussi des acteurs engagés dans la vie associative et politique de Villejuif : enseignants, syndicalistes, associatifs, artistes, militants de plusieurs partis, dont les secrétaires des sections PS et Parti de Gauche. Le débat est présidé par notre ami l’économiste Guy Dreux

Eva et Guy se préparent
Salle pleine !

Natalie Gandais : le cas Villejuif

Natalie Gandais fut la « lanceuse d’alerte » sur l’affaire de la Halle des Sports (que vous connaissez déjà). Elle commence par un court exposé, projetant sur un écran deux pièces de la volumineuse documentation remise à la justice et à la police en vertu de l’article 40 du Code de procédure pénale.

Natalie présente des preuves

Mais le sujet de la soirée n’est pas tant l’affaire elle-même que le chantage dont Natalie a été victime en tant que lanceuse d’alerte. Elle projette le email de M. Obadia, qui a le mérite de la brièveté. Au nom des groupes le Bohellec, Vidal et du sien, il lui met le « marché » en main : ou elle se rétracte par écrit de ses soupçons et renonce à saisir le procureur, ou elle est virée. Le mail de M. Obadia reconnait explicitement qu’elle n’a fait part jusqu’ici de ses soupçons qu’au maire et au Directeur Général des Services (supérieurs hiérarchiques de tous les suspects potentiels) : on verra l’importance de ce point.

Eva Joly : le monde, l’Europe

Eva Joly lui succède. Elle commence par saluer Natalie (et Alain), confessant que leur persévérance militante, leur compétence et leur probité fut une des raisons de son adhésion à Europe-Écologie.

Elle interpelle la salle : « Pensez vous que ceux qui gagnent le plus d’argent dans le monde le gagnent grâce à leur travail ou à leur capacité à s’approprier une grande part de la richesse mondiale sans payer d’impôt ? » Réponse unanime de la salle…

Eva

Eva Joly explique alors de façon très pédagogique comment le pouvoir politique peut, en échange de certaines contreparties, favoriser telle ou telle entreprise.

1. Un décideur politique (fonctionnaire ou élu) offre un avantage indu à une entreprise (par exemple en la choisissant pour un marché public alors que ce n’est pas la meilleure offre, ou en la dispensant d’impôt). C’est le délit que l’on appelle favoritisme, et c’est celui –là qui se fait au détriment de la population.

2. L’entreprise favorisée renvoie l’ascenseur en offrant une contrepartie, par exemple de l’argent. C’est cette contrepartie qui constitue le délit de corruption.

3. Il faut un canal pour envoyer discrètement cette contrepartie. Les « paradis fiscaux » et les banques ou cabinets spécialisés qui y travaillent servent notamment à ça. Ils ne couvrent pas seulement l’évasion fiscale, il servent aussi à « planquer » l’argent sale, celui de la corruption, de la contrebande, des trafics illicites (drogue, armes…)

Selon Eva, la difficulté d’établir la relation entre ces trois volets (décideur public, entreprise corruptrice et canal de transmission) rend très difficile et hasardeux les procès pour corruption, qui en général s’enlisent. Par exemple, la contrepartie peut avoir eu lieu avant le favoritisme, ce peut être une personne différente mais du même parti qui en a bénéficié, elle n’et pas forcément matérielle, ce peut être une décoration ou un coup de piston pour une autre affaire etc. Même si la police a réussi à tout reconstituer, la justice peut être bloquée par le pouvoir politique ou le juge lui-même.

Quant aux lanceurs d’alerte, ils ne peuvent dénoncer que ce qu’ils voient de l’intérieur d’un de ces trois volets, celui où ils travaillent : institution publique, entreprise, ou institution financière.

C’est pourquoi on tend maintenant à poursuivre devant la justice chacun des trois volets séparément, sans chercher à les mettre strictement en relation. Ainsi : on poursuivra le délit de favoritisme en montrant simplement que le décideur politique a offert à l’entreprise des avantages indus qui lui ont permis d’emporter le marché public, sans rechercher ce qu’il a obtenu en contrepartie (même si les policiers recherchent évidemment quelle peut avoir été la contrepartie). L’entreprise qui offre, sans raison apparente, quelque chose à un élu, on la poursuivra pour « abus de biens sociaux ». Et le canal par où passe l’argent sera poursuivi pour « dissimulation », « recel » etc. Le tout sans avoir à établir quel avantage a pour contrepartie tel versement détecté dans tel paradis fiscal.

Eva illustre ses explications d’un tas d’exemples qu’elle a connu en tant que juge ou eurodéputée. Par exemple elle a aidé les juges islandais à « coincer » leurs banques et les faire lourdement condamner. Mais elle craint que Antoine Deltour ne soit condamné au Luxembourg pour avoir dénoncé ce qu’il a vu dans l’agence PWC où il travaillait : une "fabrique" d’avantages fiscaux concédés par le Luxembourg aux multinationales.

Eva met à la disposition du public la proposition de directive européenne des eurodéputés Verts pour protéger les lanceurs d’alerte : il faut au moins les soustraire au chantage aux représailles dès qu’ils ont lancé l’alerte.

Alain Lipietz : la France

En réponse aux compliments de Eva, Alain rappelle quel honneur ce fut, pour de « vieux militants écolos », de voir les rejoindre une juge aussi respectée qu’Eva Joly, qui avait « déboulonné » de leur piédestal des personnages assez puissants pour croire à leur impunité.

Alain explique ce qui se prépare du coté des Verts pour le débat qui doit commencer en juin sur la loi Sapin 2, visant entre autres à protéger les lanceurs d’alerte… mais seulement dans les entreprises et les institutions financières, les volets 2 et 3 de l’intervention d’Eva Joly. Rien sur le volet n°1, les décideurs publics.

Le Conseil d’État, qui doit… « conseiller l’État » dans la préparation d’une loi, avait publié auparavant une « Étude » soulignant que la Révolution Française fut la première à introduire une obligation de lancer l’alerte pour les agents publics ayant connaissance d’un délit (loi du 3 Brumaire An IV, c’est-à-dire 1795) , obligation étendue par l’article 40 du code de procédure pénale aux fonctionnaires et « autorités constituées », entre autres les maires et adjoints. C’est le cas de Natalie.

Or il n’existe de protection que pour les fonctionnaires (la loi Le Pors), qui ne peuvent être mutés quand ils ont lancé une alerte. Protection assez théorique (sourires entendus dans l’assistance) : ils restent menacés de placardisation et autres brimades. Par ailleurs la loi Le Pors « renverse la charge de la preuve » : si un fonctionnaire est sanctionné après avoir lancé une alerte, c’est à ses supérieurs de prouver que ce n’est pas à cause de l’alerte !

Le Conseil d’État propose de lancer l’alerte en deux temps, d’abord une dénonciation aux supérieurs hiérarchiques, puis à une instance extérieure (par exemple une autorité judiciaire) et peut-être organiser une chambre de dénonciation où seuls les juges seraient au courant de l’identité du lanceur d’alerte.

Alain fait remarquer que le email de M. Obadia reconnait que c’est exactement la procédure suivie par Natalie Gandais (d’abord le maire et le DGS, puis le Procureur). Mais la protection de la loi Le Pors n’existe pas pour les maires adjoints ou autres élus. Dommage, car le renversement de la charge de la preuve jouerait automatiquement en faveur de Natalie : la lettre d’Obadia au nom des trois groupes qui l’ont destituée prouve qu’ils agissaient en représailles, pour avoir dénoncé le délit au procureur.

Le Conseil d’État dans son Avis propose une formulation générale des principes de la protection des lanceurs d’alerte : l’idée est d’en faire un amendement à la loi Sapin 2. La voici :
« Prévoir la nullité de plein de droit des mesures défavorables prises à l’égard des intéressés pour le motif qu’ils ont procédé à un signalement aux autorités compétentes. Dès lors que le lanceur d’alerte établit des faits permettant de présumer qu’il a agi de bonne foi, il incombe à la partie défenderesse, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers au signalement. »

Le débat

Aucune question sur l’exposé de Natalie : tout le monde est évidemment convaincu qu’elle a raison, et sur le soupçon de favoritisme, et sur le chantage.

Des question plus techniques, ou des demandes d’information sur les exemples d’actualité, sont adressées à Eva Joly.

Par exemple François demande : « Il existe un « délit d’abus de position dominante » pour les entreprises, existe-t-il un délit d’abus de position élective dominante ? ». Eva Joly répond : « Non, mais il existe toute une série de délits qui ne concernent que les élus : abus de pouvoir, prise illégale d’intérêt, abus de biens publics, favoritisme, etc »

Question plus embarrassante à Natalie : « Mais finalement ce bâtiment choisi par favoritisme va-t-il se construire ? »

Natalie explique que son souci, pendant ces deux années, en tant que maire-adjointe au patrimoine municipal et aux travaux, a été de ne pas ralentir la construction de ce gymnase dont les scolaires ont besoin. Dès avril 2014 elle a demandé qu’un vrai concours soit organisé, le maire n’a cédé qu’un an plus tard. On a perdu tout ce temps.

Ce concours a révélé qu’un autre concurrent proposait 3 millions de mieux pour la Ville. Mais le candidat favorisé, Demathieu et Bard, informé dieu sait comment, a augmenté son offre de 3 millions et demi, ce qui est déjà un gros succès que Natalie ne voulait pas laisser perdre. Toutefois, comme l’ont fait observer les services techniques, la proposition de D&B reste défavorable pour la municipalité (coque du gymnase plus coûteuse à aménager et à gérer) et coûtera 1,6 millions de plus aux habitants. D’où les lettres d’avertissement de Natalie au maire, puis son alerte à la Procureure, qui n’est pas suspensive. C’était aussi une question de principe : il ne fallait pas que ces irrégularités se reproduisent pour les projet suivants (Dojo dans le quartier Pasteur.)

Actuellement, comme l’a avoué le maire, c’est le préfet qui bloque pour un contrôle de légalité, lequel va encore tout retarder d’au moins plusieurs semaines… ou obliger à réviser le choix.

Applaudissements

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Commentaires

1 Message

  • Alain Lipietz 17 mai 2016
    15:54

    En écoutant Eva Joly illustrer son analyse très construite d’exemples européens, je songeais aux exemples dans l’actualité française. Trois affaires dont la presse parle abondamment me sont venues à l’esprit, qui illustrent la difficulté d’identifier la « contrepartie » du favoritisme. Rappelons ce qu’en disent les journaux :

    1. Affaire des sondages de l’Élysée. Marchés publics passés irrégulièrement par le cabinet de Sarkozy. Personne ne recherche une contrepartie précise ! Ce pur « favoritisme » ne vise qu’à se concilier les bonnes grâces de sondeurs, qui sont aussi des commentateurs politiques.

    2 Affaire Bismuth. Sarkozy, redevenu personne privée (le corrupteur n’est pas forcément une entreprise !), « corrompt », sous le pseudonyme de Bismuth, un haut magistrat de la Cour de cassation pour obtenir une information confidentielle. La contrepartie aurait été un coup de piston auprès de la principauté de Monaco.

    3. Affaire Dassault à Corbeil. Très compliquée ! Selon Le Monde ou Médiapart qui y consacrent des dossiers entiers, Serge Dassault, en tant qu’avionneur, a bénéficié d’un favoritisme constant de l’État français, en particulier de l’UDR/UMP/LR. Il a gagné beaucoup d’argent, en tant qu’individu propriétaire de son entreprise. Qu’il a largement placé dans des paradis fiscaux. En contrepartie, et cette fois en tant que politicien « chiraquien », il a pris le contrôle de la ville de Corbeil-Essonnes, avec un « canal de retour » très particulier de l’argent gagné par favoritisme.

    Dassault, personne privée, est en effet accusé d’avoir « sponsorisé » des voyous, qui se chargeaient de ramasser des votes et des procurations en faveur des candidats UMP, par des versements à des associations humanitaires, par le directeur de la jeunesse et des sports de Corbeil qui lui-même distribuait l’argent à des associations, etc.
    Tout cela ne pouvait que mal finir : mécontents du partage des cadeaux, les voyous se sont entretués. Le premier procès a lieu actuellement... pour assassinat !

    Ici la contrepartie passe donc, via des paradis fiscaux, par des cadeaux sous différentes formes au profit de la voyoucratie des quartiers sensibles (y compris un ex-jeune communiste), elle-même au service du parti de droite. Mais il est clair que les gouvernements n’achètent pas des Mirages (et ne financent pas l’exportation de Rafales) « afin que » Dassault soutienne telle ou telle opération politique particulière !

    L’intérêt des dossiers du Monde ou de Mediapart, c’est qu’il illustre la diversité des angles d’attaques pour la justice : on sait que les divers aspects sont liés mais chaque procès est différent, les personnages clés étant tantôt accusés, tantôt témoins.

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