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13 avril 2016
Alain Lipietz

Légion d’honneur d’Aurélie : cérémonies douloureuses et complexes

Ces cérémonies, émouvantes, ont été moins suivies que l’an dernier, et ont suscité quelques interrogations légitimes.

Un an après la tragédie, Aurélie Châtelain, dont la mort a sans doute sauvé du massacre les paroissiens de deux églises de Villejuif, a reçu la Légion d’Honneur à titre posthume. Comme l’an dernier, il y eut d’abord une cérémonie dans l’église, puis une marche jusqu’au lieu du crime, et là les discours pour inaugurer la plaque commémorative définitive. Ensuite, une cérémonie en mairie où le ministre B. Cazeneuve a remis la décoration à la famille.

Dans l’église : messe ou cérémonie républicaine ?

A l’église, la cérémonie fut bien différente de celle de l’an dernier. Ces deux cérémonies "statiques" ont eu lieu dans l’église St-Cyr-Ste-Julitte, visée par le terroriste. Il s’agit en outre d’un édifice municipal et monument historique, lourdement financé par les Villejuifois sur leurs impôts, et dont le curé admet parfaitement qu’il leur appartient, y compris pour des cérémonies laïques (et on ne se gêne pas pour y organiser des concerts, expo, etc).

La cérémonie de l’an dernier était parfaitement républicaine et laïque, les politiques de droite et de gauche et toutes les religions (des musulmans aux bouddhistes) y ont pris la parole. Mgr Santier, évêque de Créteil, avait trouvé le moyen de transposer une sorte de sermon en discours spirituel laïc, en remplaçant la Religion par l’Art.

Nous l’avons raconté ici. On remarque dès la première photo l’atmosphère de fraternité qui régnait dans l’église il y a un an, toutes origines et courants politiques mélangés, dans les premiers rangs.

Mais dimanche dernier, alors que nous revenons du festival de l’Abeille, des élues de la nouvelle majorité le Bohellec font barrage de leur corps, renvoyant les élus d’opposition à des rangs réservés, au milieu de l’église, comme s’il leur était interdit d’aller saluer « les personnalités » des premiers rangs, entre autres nos collègues venus en cars de Caudry, la ville d’Aurélie. Les autres groupes d’opposition ayant apparemment choisi de boycotter cette cérémonie, décriée comme nième resucée d’un filon usé jusqu’à la corde par un maire en perdition dans l’opinion villejuifoise, nous (élus de L’Avenir à Villejuif) nous trouvons isolés parmi trois rangées de chaises vides, bientôt comblées par des « non-élus ».

La cérémonie dans l’église s’est déroulée en deux temps, mal distingués, il faut le reconnaître, ce qui a provoqué des polémiques : on a même parlé de « messe ».

Il y a d’abord en effet une cérémonie catholique. Pas une messe, mais une succession de chants (dont la célèbre « prière de St François d’Assise », mise en musique par un Villejuifois, et deux psaumes de l’Exil) et de prières, y compris pour Ghlam, le meurtrier, ce qui est raccord avec la prière de St François, et un sermon religieux de Mgr Santier.

Puis, sans transition, on a basculé à la cérémonie républicaine. Michaël, le « père de la fille d’Aurélie » (les parents étaient déjà séparés au moment du meurtre) arrache des larmes à toute l’assemblée, en évoquant Aurélie, sa générosité, son sourire… et le bébé qu’elle n’aura pu connaître. On comprend que le bébé est celui de sa nouvelle compagne, qui élève ensemble ces enfants.

A elle seule, cette intervention montre bien qu’on n’est plus dans la cérémonie catholique, puisqu’elle évoque positivement une famille recomposée, « vivant dans le péché », tout juste passible (et encore, avec difficultés) de la « miséricorde » de l’Église, alors qu’elle représente un sommet de l’Amour, pour notre morale laïque actuelle !

Eh oui, la vie continue, et les intervenants villejuifois répètent en boucle aux habitants de Caudry combien ils ont conscience de devoir leur vie à la résistance d’Aurélie. En avril 2015 c’était encore une idée abstraite, mais depuis les massacres de masse de novembre, chacun peut « visualiser » ce qui a failli se produire à Villejuif.

Tous les représentants des religions prennent à nouveau la parole (sauf les bouddhistes, pas invités ? nous avions insisté il y a un an). Avec un discours très articulé et très politique, en 9 points, de notre ami Saïd Badaoui, président de la mosquée Rachad (ave. Youri Gagarine). Discours remarquable que voici :

Discours Rachad

J’ai pu bavarder en cheminant vers le lieu du crime avec les curés (celui de Caudry et le notre) et plus longuement avec Mgr Santier. On s’est expliqué sur la différence de tonalité entre son sermon (religieux) de cette année et le discours (spiritualiste) de l’an dernier : il m’a confirmé que cette fois il y avait bien une petite cérémonie religieuse au début des cérémonies républicaine. Ce qui est bien légitime (l’église était visée), mais pas clair pour tout le monde.

Ce qui a joué peut –être aussi est la présence d’une grosse délégation de Caudry. C’est une petite ville textile du Cambresis, avec un long passé démocrate-chrétien, aujourd’hui dans le Marineland du Nord ( Le Pen à 44 % au 1er tour des régionales, 46 % au second tour). Le curé de Caudry a pris la parole dans la cérémonie religieuse, le maire dans les deux cérémonies hors de l’église. Mais en laissant trainer l’oreille à la sortie de l’église on remarque que certains ne comprennent pas qu’on ait donné la parole à deux représentants de l’Islam (S. Badaoui, et M. Khodja pour l’AMVB). Il est vrai que si nous, nous remercions Aurélie, eux pleurent la mort d’Aurélie.

Les cérémonies civiles

Puis, comme l’an dernier nous cheminons vers le lieu du crime, soutenant les personnes âgées (c’est loin), en espérant que les cars pourront les ramener. Mais sur place on apprend du cabinet du maire que ces cars sont « pour les officiels, pas pour la population » (sic). Il a fallu se débrouiller pour faire venir des voitures.

Il y a moins de monde que l’an dernier. Discours des deux maires, et, pour nous, premier discours du maire de Caudry : il n’était pas aux cérémonies de l’an dernier, ni à Villejuif, ni à Caudry. Il fait à nouveau le panégyrique d’Aurélie. Son sourire radieux, sur toutes les affiches, la transforme en icône des martyres de la République. Mais alors pourquoi donc ne l’a-t-il pas reprise dans sa majorité ? Pourquoi ne l’a-t-il pas gardée dans son personnel municipal ? Mystère.

Retour clopin-clopant vers la mairie, où on attend M. Cazeneuve pour la remise de la Légion d’honneur. Sur la place je fais la connaissance du nouveau sous-préfet de l’Haÿ, Michel Bernard. On bavarde, on évoque le souvenir de notre ami commun Bernard Marris et de son épouse, fille de Châteauneuf sur Loire, comme Natalie Gandais. Ce qui provoque l’intervention effarée du cabinet du maire : « Monsieur Lipietz ! Partez, les autres élus vous attendent dans la salle du conseil ! » Pas question en effet que des élus d’opposition bavardent avec les représentants de l’État : c’est avant tout la cérémonie de M. le Bohellec.

Certes, il y avait des problèmes de sécurité, mais cette coupure entre les officiels et les autres est très dommage. D’autant que, on va le voir, le discours du ministre Cazeneuve aurait mérité d’être entendu et discuté par les citoyens.

J’aurai quand même la chance de pourvoir rester au « pot de l’amitié » après la Légion d’Honneur. Occasion de bavarder avec l’avocat de Michaël et les parents, et de comprendre un peu « ce qui se passe à Caudry », tout en leur répétant à quel point nous, Villejuifois, nous sentons redevables envers Aurélie.

Les contradictions du discours sur le terrorisme

Entassé dans la mairie, nous écoutons le long discours de B. Cazeneuve. Lui et ses collaborateurs ont manifestement fait des efforts, c’est un discours plein de contenus, au delà de l’éloge de la victime. En gros : « Expliquer c’est déjà pardonner, et ce crime est impardonnable. Mais il faut comprendre pour prévenir. »

La première phrase est tirée d’un discours à l’emporte pièce du Premier ministre M. Valls (d’ailleurs piquée, à propos de la Shoah, à C. Lanzmann, dans la bouche de qui elle était déjà un peu stupide). La seconde phrase prend en compte en l’adoucissant le « déterminisme sociologique » de son collègue le ministre de la ville P. Kanner , pour qui « il y a une centaine de Molenbeek en France », visant apparemment les quartiers prioritaires de la Politique de la ville.

Ce qui revient à « comprendre » les actes des djihadistes en les supposant déterminés par l’ambiance de leurs quartiers – ghettos. Une idée qu’avait caressée M. Valls quand il rapprochait les attentats de janvier 2015 dernier et les « ghettos », l’ « apartheid territorial, social et ethnique ».

A mon avis, il y a un déterminisme social, mais il est loin d’être absolument vérifié. La sociologie des djihadistes est complexe. Il y a des djihadistes classes moyennes, d’autres passant du deal au terrorisme sans passer par la case mosquée. Et tous les jeunes chômeurs de cités ne deviennent pas djihadistes. A Villejuif le seul djihadiste jusqu’ici condamné venait de Lamartine, mais la misère sociale dans ce quartier a engendré bien plutôt des dealers. Ce n’est pas la faute de Lamartine, mais des politiques qui ont créé Lamartine et l’ont laissé évoluer sans aider suffisamment ses habitants (les mères notamment) à résister aux dealers.

Il y a beaucoup d’autre déterminants au djihadisme : crises d’adolescence, problèmes psychologiques, comme chez tous ces gens mal dans leur peau qui hésitent entre « tirer dans le tas » et se suicider (cf l’affaire de Nanterre). Et enfin il y a le passage à l’acte où la responsabilité de l’assassin est seule engagée, si l’on croit au libre-arbitre (mais on n’est pas obligé d’y croire…)

La responsabilité des politiques, ministres, maires et adjoints, associatifs, c’est de réduire tout ce qui est « déterminants sociologiques » et , pour autant que c’est possible, les « déterminants psychologiques ».

Cela n’empêchera pas Merah ou Ghlam de devenir meurtriers, mais il y aura moins de Merah, moins de Ghlam. Donc moins de victimes innocentes, comme Aurélie.

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