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6 octobre 2019
Alain Lipietz

Tribunal de Melun : le maire passe un mauvais quart d’heure

(ou plutôt son avocate)

L’association La Grande Ourse s’est vu refuser une salle municipale. Le Tribunal de Melun en débattait cette semaine.

Vous l’avez remarqué : il n’y a pratiquement plus de panneau d’affichage libre (en fait : 10, à la périphérie de la Ville). Les palissades de chantier chantent la gloire du maire. On se demande où les écologistes et autres oppositions auront droit de faire campagne pour les municipales ! Et depuis un nouveau « règlement », l’accès aux salles municipales est devenu tout aussi difficile. Quel contraste avec la Charte des Associations que notre amie Sylvie Thomas avait fait adopter au temps de l’Union citoyenne !

L’exemple de La Grande Ourse

La Grande Ourse, que nous vous avons déjà présentée et où se sont investies des animatrices de L’Avenir à Villejuif, fait la pédagogie d’une nourriture « Bonne, bio et pas chère », anime des potagers partagés, enseigne le compost… En décembre 2017, elle demande une salle de la MPT Gérard Philippe pour un samedi de mars 2018. Elle propose trois dates, vues avec la directrice de la MPT. Refus du maire. La Grande Ourse fait un « recours gracieux » : nouveau refus. Elle dépose un recours en tribunal administratif : le TA de Melun.

Comme La Grande Ourse considère que les subventions qu’elle reçoit de l’État, du département ou du Grand-Orly-Seine-Bièvre sont destinées à son activité auprès des Quartiers Prioritaires de la Politique de la Ville, et pas à payer des avocats, elle me demande, car j’ai une petite expérience du droit administratif, de rédiger nos plaidoiries et de la représenter au tribunal.

Le TA, c’est gratuit mais très lent ! En janvier 2018, La Grande Ourse, dite « demanderesse » ou « la requérante » dans le jargon, dépose son recours par internet. En janvier 2019, la mairie (dite « la défendeure ») envoie le « mémoire en défense » de son cabinet d’avocats (que nous, contribuables villejuifois, payons…). Je rédige immédiatement notre "mémoire en réponse", et le tribunal clôt l’instruction en juin. Voici cette réponse qui vous expose tout l’échange d’arguments, parfois technique : je résume ensuite.

On trouvera plus de détails, avec liens et documents, sur la "la politique culinaire de F. le Bohellec", ici.

Arguments des uns et des autres

En décembre 2017, le maire refuse la salle pour la raison que : « un nouveau règlement des associations est en préparation ». La lettre de refus nous oriente vers la Semgest et l’Espace des Esselières, bien au-dessus de nos moyens. Nous attaquons cette décision au double motif que :

- Nous avons droit à la salle en vertu de la « Charte des associations » toujours en vigueur et affichée sur le site internet de la Ville.

- Divers indices manifestent une discrimination contre La Grande Ourse. Selon la lettre d’une maire-adjointe, le maire s’oppose à l’activité-é de La Grande Ourse car il est contre une éducation populaire à la nourriture bio et pas chère à base de protéines végétales dans les quartiers de Politique de la Ville.

Un an plus tard, en janvier 2019, le « mémoire en défense » du maire sort de son chapeau un tout nouvel argument : la salle n’était pas libre ! Il exhibe la photocopie d’un agenda manuscrit, non daté ni signé, sans doute de la main de la directrice de la MPT.

Mais il assaisonne le tout d’un exposé de la philosophie du droit de Monsieur le Maire : son pouvoir serait « discrétionnaire », c’est-à-dire qu’il peut faire ce qu’il veut dans sa ville, affranchi des lois, règlements, conventions et chartes…

On l’avait remarqué, mais là c’est écrit noir sur blanc, mis en forme par des juristes. Le texte va jusqu’à critiquer les limites à son pouvoir que représente le « règlement des associations » rédigé par lui-même. Jamais le caractère dictatorial de F. le Bohellec n’a été affirmé aussi clairement. Mais il s’agit d’une dictature bienveillante, qui doit rester « neutre »… On se souvient peut-être qu’il avait supprimé les subventions au Mouvement de la Paix et au MRAP, au prétexte qu’il aurait fallu subventionner aussi un Mouvement pour le racisme, l’antisémitisme et pour la guerre.

Je réponds par écrit à tous ces arguments. Malheureusement, le site internet du TA indique, deux jours avant l’audience, que la rapporteuse du tribunal (qui joue le rôle du juge d’instruction dans les procès au pénal) rejetterait notre demande. Mauvais signe : les juges administratifs suivent presque toujours les conclusions du rapporteur.

Une audience mouvementée

Arrivé inquiet au Tribunal, ce vendredi 4 octobre, j’assiste aux affaires précédentes. Il y a trois juges (femmes) au tribunal. La rapporteuse (femme, comme la greffière : la justice est entièrement féminisée, je note quelques avocats masculins dans la salle…) lit d’abord ses conclusions. Puis la parole est au demandeur, puis aux avocats du défendeur. Les juges ne disent rien et la présidente conclut : « Jugement mis en délibéré » (c’est-à-dire à plus tard).

Arrive notre tour. J’attends avec angoisse les raisons de la rapporteuse. Laissant tomber les arguments de philosophie de droit, elle reprend l’ultime argument du maire : « La Grande Ourse n’a pas apporté la preuve que la salle était libre. » Si ce n’est que ça…

À mon tour. J’explique les buts de La Grande Ourse, puis je rappelle brièvement notre premier argument (un « règlement en cours d’élaboration » ne saurait être opposé à un règlement en cours de validité). Puis j’aborde l’argument de derrière les fagots exhibé un an après : que la salle n’était libre, à aucune des dates que nous avait indiquées la directrice de la MPT.

M’excusant auprès de la rapporteuse pour le manque de clarté de ma démonstration écrite, je lui ai fait observer que : si ! nous avons apporté la preuve que le document (la photocopie du carnet), censé prouver que la salle n’était pas libre, était, sinon un faux, du moins utilisé à mauvais escient.

1. Il est antidaté : la directrice de la MPT y indique dans son carnet combien de personnes ont participé à chaque évènement. Or la réponse apparait jusqu’à la date du 28 mars… 2018 ! Il ne s’agit donc pas du carnet de réservations tel qu’il était en décembre 2017.

2. Il était tronqué : les pages relatives à deux des dates proposées sont manquantes.

3. Le dernier des 3 samedi proposés, la salle était libre, mais nous était refusée, selon le mémoire en défense, au motif qu’elle était utilisée la veille et le lendemain… et qu’on manquait de personnel pour la nettoyer !

Pour éviter un procès en diffamation, j’évite d’employer le terme de « faux en écriture » : le carnet de la directrice de la MPT est vrai, c’est seulement ce que le maire en a fait qui est biaisé. Et pour ne pas être trop long, je m’abstiens de rappeler que ce même tribunal de Melun a condamné le maire, il y a quelques mois, pour avoir tenté de l’enfumer dans l’affaire de la Bourse du travail.

Sans inviter le tribunal dans le débat Villejuifois sur le personnel municipal manquant, je fais observer que les bénévoles de La Grande Ourse sont des gens très propres, que la chargée de projet Natalie Gandais est diplômée en matière d’hygiène des restaurants, que bien sûr nous aurions nettoyé la salle nous-mêmes…

Pour évacuer tout argument d’« ordre public », je conclus par un plaidoyer sur le caractère « non-sectaire » de l’activité pédagogique de La Grande Ourse, conforme à toutes les prescriptions officielles en faveur de « plus de bio /moins de viande ». Et pour prouver une fois encore la discrimination, je lis le mail du « conseil politique » du maire interdisant à La Grande Ourse de servir autre chose que des sucreries à la Fête des associations de septembre dernier. Interdiction qui contredit la campagne officielle : « Manger moins sucré, moins gras, moins salé » !

Sourires amusés des 3 juges, qui ne m’ont pas plus interrompu ni interrogé que dans les affaires précédentes.

La parole est à la défense du maire, une jeune avocate. Et, ô surprise, la présidente du tribunal, jusqu’ici silencieuse, se met à tarabuster la malheureuse en l’accablant de questions et d’objections.

L ‘avocate tente par exemple de justifier la contradiction entre la première raison donnée par le maire à son refus (celle de décembre 2017 : « on prépare un nouveau règlement » ) et la dernière ( celle de janvier 2019 : « la salle était occupée ») : selon l’avocate, les attributions de salles étaient « gelées » jusqu’à la parution d’un nouveau règlement.

- Elle était occupée ou elle était gelée ? demande la présidente.
- Elle était gelée pour les nouvelles demandes, bafouille l’avocate.
- Et quand a-t-elle été dégelée ?
- Je ne sais pas, je pourrai vous communiquer cette information…
- Mais si vous saviez dès décembre 2017 que la salle n’était pas libre en mars, n’était-il pas plus simple de le dire à La Grande Ourse en proposant d’autres dates ?
- Oui sans doute
, murmure l’avocate, liquéfiée…

La présidente annonce « Jugement mis en délibéré ». En sortant, je tends la main à l’avocate :

- Vous avez été courageuse !
- Vous aussi !

Sauf que moi je n’avais pas à défendre l’indéfendable...

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