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20 octobre 2014
Alain Lipietz

Faut-il encadrer les loyers à Villejuif et en Val de Bièvre ?

Le 26 septembre, le conseil municipal de Villejuif a adopté un vœu en faveur l’encadrement des loyers prévu par la loi ALUR. À cette occasion, la majorité municipale Union citoyenne a hésité et a dispersé ses votes. La question sera incessamment réexaminée au conseil de la Communauté du Val de Bièvre. Occasion de réfléchir sur le fond.

1. L’encadrement des loyers est-il une mesure bizarre, incompatible avec la production marchande de logements ?

Non. L’encadrement des loyers est une norme assez générale, pratiquée aujourd’hui par des pays comme les USA ou l’Allemagne, et de façon continue par la France depuis la Libération.

En France, la loi de 1948 a purement et simplement bloqué les loyers anciens, sans empêcher l’effort immense de construction (800 000 logements par an à la fin des années 60), qui a permis d’absorber l’exode rural, l’arrivée des rapatriés d’Algérie et l’immigration. Pourtant l’ancien (dit « logements loi de 48 ») a fonctionné comme un « secteur social de fait » qui tirait vers le bas l’ensemble des loyers.

Avant la loi ALUR de cette année, la France était (et reste) largement régie par la loi du 6 juillet 1989 qui encadre les hausses pendant le bail et lors du renouvellement du bail.

2. Pourquoi l’encadrement des loyers est nécessaire dans une économie marchande ?

La raison fondamentale est que la « loi de l’offre et de la demande », censée relancer la production des biens devenus trop rares et « donc » trop chers, ne joue pas dans ce cas. On peut construire plus de logements, on ne peut pas en construire plus dans les quartiers qui sont le plus demandés parce qu’ils sont plus près du centre, ou parce qu’ils sont plus agréables. Les locataires qui en ont les moyens sont prêts à payer plus pour accéder à ces quartiers là, mais la différence passe dans le « prix du sol » : la rente ou tribut foncier.

Une autre raison est la lourdeur du processus de production de nouveaux logements. Le secteur passe par une succession de bulles spéculatives, jusqu’à ce que le loyer ou le prix des logements devienne trop cher pour les revenus. C’est ce qui s’est produit avec la hausse délirante et sans précédent entamée en 2000. Aujourd’hui, les acheteurs ne peuvent plus suivre, la demande de logements puis la production s’interrompent, renforçant la rareté de l’offre… au moment même où il faudrait la relancer.

L’encadrement n’empêche pas la hausse des loyers, il la ralentit et la maintient à un rythme « contrôlé », comptable avec la hausse générale des revenus.

3. Qu’apporte la loi ALUR ?

La loi ALUR de la ministre Duflot contient un chapitre sur l’encadrement qui se présente comme un amendement à l’article 17 de la loi d’encadrement de 1989.

On a vu que celle – ci empêchait le loyer d’un appartement d’augmenter trop vite. Elle encadre son évolution au fil du temps. L’amendement consiste à l’encadrer aussi dans l’espace : veiller à ce que le loyer d’un appartement ne soit pas trop différent de ceux du même type dans le même quartier.

Pou cela, elle transpose purement et simplement le mécanisme du Mietspiegel (miroir des loyers) allemand. Un observatoire établit le loyer médian d’un type et d’un quartier. Si un loyer est à la traine de 30% par rapport au miroir, le bailleur peut « rattraper » (en plusieurs étapes). Si le propriétaire demande plus de 20 % au dessus du miroir, le locataire peut contester le loyer en justice.

4. La méthode du « loyer miroir » est-elle efficace ?

A regarder l’Allemagne, oui !!! Lors d’une table ronde à laquelle je participais, un Berlinois s’indigna que « avec le nouveau statut de capital de Berlin, les loyers étaient passé de 200 euros à 400 euros » Devant la stupéfaction des Français, il s’st excusé « Oui, je sais, ce n’est pas les prix, en France » . Pourtant , le secteur locatif privé loge 54 % des Allemands (24 % en France).

Dépensant peu pour loger ses salariés, l’économie allemande se trouve de ce fait beaucoup plus compétitive que la France. Cependant, tout n’est pas dû au Mietspiegel ! La compétitivité allemande a bien d’autres raisons (fondamentalement : un meilleur rapport patronat –syndicats dû à la cogestion, et un meilleur rapport grandes entreprises-fournisseurs).

Surtout le bas prix du foncier en Allemagne est dû à l’absence de mégapole trop grande. Hambourg avec 4 millions d’ habitants est la plus grosse aire urbaine (contre 12 millions presqu’en urbanisation continue pour l’Ile de France). Or, comme on l’a vu question 2, le prix du sol monte avec la compétition pour les « bonnes places », notamment celles qui sont plus près du centre (là où sont les emplois, les loisirs). Avec son réseau de villes moyennes et de métropoles à taille humaine, ce n’est pas un problème en Allemagne. En Ile de France ou à Londres, en revanche, le prix de la centralité est vertigineux et déteint ensuite sur tout le foncier urbain.

Le loyer miroir ne peut pas faire baisser les loyers. Il n’empêche pas les loyers de monter (le plafond de 20% devient peu à peu le loyer médian), mais lentement et en restant dans des limites raisonnables : on l’a vu sur l’exemple berlinois.

5. Est-elle d’actualité ?

Selon la FNAIM « La baisse s’installe » (mais très lentement) dans le prix du logement neuf. La bulle des prix du logement se dégonfle enfin. Elle avait résisté à la crise de 2008, du moins en Ile de France, mais là, elle commence à céder sous les coups de la déflation : les revenus stagnent, les prix sont restés trop haut, et malgré les taux incroyablement bas de la Banque centrale, les banques, échaudées, ne veulent plus prêter aux ménages ne disposant pas d’un « reste à vivre » confortable. Les promoteurs offrent de discrets rabais (la cuisine équipée gratuitement) et gèlent les nouveaux programmes. Cette panne a des effets contradictoires : la construction s’arrête, mais les gens ont toujours besoin de se loger…

Puisque les prix baissent tout seuls (suivis, on l’espère, avec un certain retard, par les loyers), pourquoi faire une loi du loyer–miroir ?

Eh bien d’abord, on vient de le dire, parce que l’éclatement de la bulle de la construction ne fait que renforcer la tension sur les logements disponibles à la location, et donc peut tout aussi bien accélérer la hausse des loyers ! Les prix à la vente et les loyers n’évoluent pas toujours dans le même sens. Et comme les jeunes et les ménages modestes ne peuvent toujours pas, et de moins en moins, accéder à la propriété, ils doivent se retourner vers la location.

Ainsi, la pression continue à augmenter en Ile de France. Et tout particulièrement à Villejuif, avec une migration des classes moyennes refluant de Paris, devenu trop cher, vers une ville qui sera bientôt desservie par de nouveaux métros.

Mais Villejuif attire aussi les très pauvres, au services de l’immense marché d’emplois tertiaires peu qualifiés parisiens. Des appartements et des pavillons sont mis à la location par des « marchand de sommeil » en position de prélever de très hauts loyers au mètre-carré.

La tendance est donc très forte à ce que des bailleurs estiment que leurs immeubles, pourtant largement amortis, ne sont plus au niveau de « ce qu’on peut exiger à Villejuif » et prétendent que les loyers anciens sont « manifestement insuffisants ». Or dans ce cas la loi de 1989 permet une révision brutale des loyers au renouvellement du bail.

Villejuif, et le Val de Bièvre plus généralement (mais en fait tout les « points rouges et oranges » du SDRIF), a donc vitalement besoin d’un « loyer miroir » pour lutter contre les « ajustements » abusifs et les marchands de sommeil.

6. Comment M. Valls bloque-t-il la loi ?

La loi ALUR est votée. Pourtant M. Valls, Premier ministre, sous la pression de la profession immobilière, proclame sa volonté de ne pas l’appliquer, « sauf à Paris à titre expérimental ». Bel exemple pour notre belle jeunesse !
Il ne propose pourtant pas de l’abolir, tant gronde la révolte de la grande majorité des Français contre le niveau sidérant du prix du logement (qui d’ailleurs empêche de consommer, aggrave la crise, diminue la compétitivité, etc : le niveau des loyers ne nuit pas seulement aux ménages, mais aux entreprises). M. Valls n’aurait pas de majorité pour cela.

Mais de la loi à son application, il y a une marge. Dans notre cas : il faut mettre en place les observatoires des loyers. Puis les préfets, à partir de ces observatoires, fixent les « loyers miroirs » par quartier. Il suffit donc de bloquer la mise en place des observatoires des loyers pour bloquer la loi ALUR. Et aujourd’hui seul Paris a un observatoire opérationnel, l’Olap : voyez ici comment ça marche…

7. Que faire ?

Le vœu prononcé par Villejuif, ou celui que s’apprête à prononcer la Val de Bièvre, ne sont pas que des « vœux pieux », puisque de toutes façons les villes ou les communautés d’agglo sont appelées à mettre en place les observatoires des loyers. Voter ce vœu, c’est s’engager à y travailler.

Et mettre en place un observatoire, c’est déjà très intéressant. On repère ainsi les marchands de sommeil. En publiant des résultats mêmes partiels, on aide les associations de locataires à lutter contre les excès. Etc…

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Commentaires

4 Messages

  • jeannick Deltour 21 octobre 2014
    18:50

    « Bonjour,

    je suis tout à fait d’accord avec cet argumentaire qui répond à celui de la profession immobilière.
    Moi ce qui me frappe le plus dans la question des loyers, c’est que (en dehors du logement social), il s’agit d’une énorme pompe d’argent des moins riches ou des pauvres (les locataires, ceux qui ne peuvent accéder à la propriété) vers les plus riches, ceux qui en plus de leur logement en possèdent d’autres qui vont leur "rapporter" sans avoir grand chose à faire, ni à se lever de bon matin ! Est ce que c’est ça qu’on appelle une économie de rente ?

    De plus comme le dit une note du CGEDD de juin 2013 :

    Depuis les années 1970, l’indice des loyers de l’INSEE a augmenté parallèlement au revenu moyen de
    l’ensemble des ménages, mais le loyer moyen des locataires a doublé par rapport à leur revenu.
    Cette contradiction apparente résulte de la conjonction de deux phénomènes :
    - les locataires se sont paupérisés par rapport à l’ensemble des ménages, de 0,8% par an en moyenne, ce qui
    reflète principalement la paupérisation massive depuis 1970 des ménages jeunes, surreprésentés parmi les locataires,
    et, à titre complémentaire et uniquement sur la période récente, un élargissement de l’éventail des revenus ;
    - le loyer moyen des locataires a doublé par rapport à l’indice des loyers de l’INSEE de 1970 à 2006, ce
    doublement reflétant une augmentation de la qualité intrinsèque du parc locatif et s’étant accompagné d’une forte diminution de la densité d’occupation.
    La divergence des loyers et des revenus des locataires augmente considérablement le coût des aides au
    logement permettant de ramener le taux d’effort des ménages à un niveau donné.
    Les ménages âgés apparaissent comme les gagnants, et les ménages jeunes comme les perdants, des 40
    dernières années par le revenu et des 10 dernières années par le prix de cession des logements.
    Cette note reprend une présentation effectuée devant le Collège Logement du CGEDD le 11 juillet 2012.

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    • paul 21 octobre 2014
      23:27

      Pour vous c’est quoi un pauvre, marre de voir ce mot, on les retrouve dans les HLM, je suis pauvre j’habite HLM et suis pas propriétaire du moins pas en RP. oui pour l’encadrement des loyers, non à l’enrichissement personnel

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    • Alain Lipietz 25 octobre 2014
      13:03

      Merci Jeannick pour avoir attiré l’attention sur cette note au titre rébarbatif. En effet, plein de pièges se cachent derrière les satiriques.
      Le deuxième phénomène que tu évoques est plutôt réjouissant : la qualité moyenne des appartement loués s’améliore sur un demi-siècle. Quand je militais sur le logement en 1970 (j’étaisi alors prof d’économie à l’Unité Pédagogique d’Architecture n°6, à l’ENSBA) il y avait encore beaucoup de "loi de 48" avec toutes les histoires de "surfaces corrigées", les toilettes à l’étage etc. Mais ce décalage entre "indice INSEE" et "loyer moyen" pose un problème en cas de relogement ou d’amélioration lourde d’un bâtiment.
      Le premier phénomène est le plus important, et très triste : la part du loyer dans le revenu des ménages locataires a doublé. Cette évolution se décompose en deux étapes
      1. dès qu’on est un peu plus riche on essaie de ne plus être locataire, alors qu’autrefois ce n’était pas forcément le cas (en Allemagne ce n’est toujours pas le cas), on pouvait vivre très bien comme locataire et placer ses économies ailleurs. Aujourd’hui il vaut mieux acheter son logement dès qu’on peut.
      2. Or les inégalités se creusent. Donc ceux qui restent locataires sont de plus en plus pauvres par rapport à la moyenne des ménages.

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      • jeanine rollin-coutant 25 octobre 2014
        16:27

        En effet la qualité des logements c’est beaucoup améliorée, mais cela ne justifie pas la hausse ressentie et effective depuis ces dernières années. A chaque renouvellement de bail : un coup de hausse et pas des moindres. sans justification, juste par rapport à l’observatoire des loyers, qui à mon sens est une vaste fumisterie. Beaucoup de ménages ont la moitié de leurs revenus qui passe dans le loyers.
        Les APL parlons-en ! "à qui profite le crime" aux sociétés Immobilières bref aux propriétaires, plus le loyer est élevé plus vous percevez l’APL, pourquoi se gêner. C’est la Société qui paie. Qui aura le courage de réformer tout cela ?.

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